UTENA

Entre les poncifs trop étriqués et la sur-utilisation du dessin digital, voilà des années que je ne me passionnais plus pour un animé. Ce n’était pas la nostalgie qui me ramenait à ces vieilles productions, mais bien les qualités intrinsèques que les auteurs ont su insuffler à leurs créations. Est-ce que cela voudrait dire que les marketeurs ont remplacé les créateurs ?

Analyse

Vivre héroïquement, et avec élégance, toute autre option devenait naturellement insatisfaisante ou suspecte. Cette grâce qu’il faut maintenir même dans les moments les plus difficiles distingue les personnages extraordinaires et Utena en fait partie. Utena, cette jeune écolière, garçon manqué aux cheveux roses-Magical-Girl est emportée dans une série de duels d’épéistes dans la série animé éponyme. Ces duels ont pour but de gagner la main de Anthy, la frêle princesse des roses et obtenir par la même occasion le pouvoir de révolutionner le monde. Large programme. Mais ce qui fascine avant tout, c’est le style. Tout, dans le monde de Utena est excessif, décalé ou cryptique, et l’on peut remercier Kunihiko Ikuhara, le réalisateur aux commandes pour offrir là une oeuvre vraiment originale. Subjugué par ce phénomène qui m’était passé sous le nez, je dévorais du même auteur, vingt-quatre épisodes de Penguin Drum, quarante de Utena, et deux cent de Sailor Moon… Véritable plongeon dans la culture des animés des années 90, un grand bol d’air frais. Je pouvais enfin dessiner dans mon esprit un canevas général de ce qui faisait la patte artistique de Ikuhara.

Pour distancier le spectateur de son banal quotidien et de ses préjugés les plus solides, Ikuhara verse tout particulièrement dans la démesure, dans l’extravagance des situations qu’il met en scène, le tout servi avec un humour décalé mais surtout, des images graphiques fortes et jamais vues ailleurs : une épée sortie de la poitrine d’un des personnages permet de terrasser tous les opposants, une arène de combat s’installe au milieu d’un gigantesque ballet de voitures décapotables au sommet d’une tour au dessus des nuages, une héroïne se change en voiture pour s’échapper de l’école dans une course poursuite avec un château géant monté sur roue. Utena est une fille déguisée en prince qui combat le système tyrannique de l’école qui se révèle être le sol même sur lequel elle marche. La princesse, la laconique Anthy, est une fille qui s’est construit sa propre prison, un tombeau caché quelque part dans le château appelé ‘la fin du monde’. Changer le monde, changer les gens, est-ce vraiment possible s’ils ont consciemment choisi les chaînes qui les entravent et les asservissent ? 

Il existe cependant un espoir. Dans Penguin Drum, l’auteur s’attache à l’histoire d’une famille d’orphelins, deux frères et une sœur, qui vivent en autarcie dans une société qui rend ses membres anonymes ou ‘transparents’. La  petite communauté vit tant bien que mal des jours heureux jusqu’à ce que la sœur tombe grièvement malade et succombe. C’est là que tout bascule quand cette dernière est sauvée in extremis par une entité mystérieuse logée dans un chapeau en forme de pingouin et qui ordonne aux deux frères de se lancer à la recherche du ‘Penquin Drum’ sans quoi leur sœur cesserait de vivre. S’ensuit une aventure déjantée, où les deux adolescents désemparés vont tout faire pour sauver ce qu’il reste de leur famille et de leur bonheur, peut être même jusqu’à tomber dans le terrorisme. On a là la description d’un monde sordide, où le futur qui nous est proposé ne donne plus envie, dont les personnages inadaptés au rythme moderne tentent de trouver un sens à leur vie par tous les moyens. L’animé reste avant tout une comédie qui réussit à parler de sujets sérieux comme l’attentat au gaz sarin du le métro de Tokyo, du destin qui est inéluctable avec l’omniprésence de la symbolique du train, ainsi que de l’amour sacrifice, symbolisé par la pomme que les trois enfants se partagent pour s’entraider tout au long de l’histoire.

Avec Sailor Moon, Ikuhara donnait déjà les clés pour ne pas succomber à la peur irrationnelle du doute et de la suspicion dans un monde qui va toujours plus vite :  la grâce de l’innocence comme un moteur dans un monde absurde et violent, l’abandon de ses propres intérêts au profit d’une cause et d’une existence plus large au service d’un groupe ou d’un idéal à portée universelle comme moyen de s’accomplir.