Analyse de personnages d’anciennes série kung fu
Quelles figures héroïques restent dans l’inconscient collectif d’une société ? Celles que la jeunesse a choisies comme modèles indépassables, celles qui la tirent vers le haut, celles qui ont dominé les œuvres populaires. En vérité, ces modèles diffèrent énormément selon la culture d’où l’on vient.
Pour moi, ça a été complètement différent. Qui connait vraiment ces héros des séries de kung-fu interminables qui vont braver des royaumes tout entiers tout en se conformant malgré tout aux valeurs ancestrales du confucianisme ? Dans les vieilles K7 de quatre heures qu’on louait au kiosque du coin de rue, on découvrait les mythiques The Legend of Condor Heroes, Heavenly sword, and Dragon saber, Journey West…, on était aussi les pionniers du binge watching. Ces romances entre personnages hauts en couleurs tiraillés en profondeur entre leur devoir filial, leur fidélité à leur patrie ou à leur maître et leurs aspirations individuelles forcément contradictoires. Les Mongols attaquent les Hans, les Hans attaquent les Jins, et dans ce chaos qui polarise les camps de chaque personnage, les héros tentent de réaliser leur destin individuel et entrer dans la grande histoire.
En fournissant des codes narratifs très convenus et un peu rigides, la loyauté, la droiture, les hiérarchies de la société, on permet finalement de construire un récit plus lourd en signification derrière chaque action d’un protagoniste.
Mon personnage préféré toutes œuvres confondues, Huang Rong y fait son apparition. Elle est la fille la plus intelligente et la plus adorable qui existe. Elle mène à la baguette Guo Jing, le talentueux mais imbécile garçon venu des plaines de Mongolie dont elle tombe amoureuse. Les aventures qui s’ensuivent les dirigent sur les pas des quatre plus grands maîtres d’art Martiaux du pays, dont le chef de la secte des mendiants, le propriétaire de l’île des pêches en fleur, ou le fou des montagnes de l’Est. Les manuscrits qui répertorient les techniques secrètes sont légions et permettent souvent de conquérir le monde entier.
Les héros de ces histoires ne sont pas simplement des combattants valeureux, ils sont surtout très bien versés dans différents domaines comme la médecine, la géographie, les mathématiques, les stratégies de guerre. La place de la connaissance est souvent très importante dans le caractère d’un héros. Ils se battent aussi bien qu’ils sont capables de résoudre des énigmes posées par les différents savants qu’ils rencontrent, gagnant ainsi leurs faveurs. Huang Rong par exemple réussit à convaincre le chef des mendiants d’enseigner quelques techniques à Jing en échange de succulents plats qu’elle a mijotés exprès pour l’occasion. Le rival principal, le prince Kang est aussi l’un des personnages les plus ambiguës et bien construits que j’ai jamais vu. Toutes ses actions qui vont à l’encontre de la morale acceptée sont très bien amenées de par sa situation d’enfant bâtard qui ne veut pas lâcher ses privilèges pour rejoindre ses vrais parents.
L’introduction de psychologies dites ‘réalistes’ dans les œuvres contemporaines, de personnages terre à terre essentiellement mus par leur intérêt personnel à grandement fait du tort à l’inconscient collectif occidental. Quelqu’un de vertueux est une personne niaise, la bonté est une faiblesse, cette suspicion permanente a profondément mis en place les fractures de notre civilisation. La pureté des intentions des héros de kung fu, structure plus assurément encore l’esprit d’un enfant. Je leur en serai éternellement reconnaissants.
Je revois avec émotion ces vieilles séries avec autant d’archétypes qui ne reviennent toujours pas au devant de la scène, comme la figure du héros vagabond caractérisé par : une curiosité désintéressée, la capacité de rêver, le sens de l’humour pour contrebalancer ces rêves et un certain comportement capricieux et imprévisible. Il faut redonner les lettres de noblesse à l’intelligence dans la culture populaire.