INTRODUCTION
Bon, coupons court aux discussions futiles, mettons de côté toute forme de précaution, parlons haut et cru, Death Stranding est le jeu vidéo de cette décennie. Tout d’abord par le graphisme phénoménal et l’esthétisme hyper réaliste qui nous transporte dans un monde tellement semblable au nôtre qu’on en arrive à oublier que ce n’est qu’une création, mais plus lumineux encore avec ses codes visuels extrêmement originaux qui permettent un nouveau regard sur notre réalité.
Plus qu’une simple distraction récréative, Kojima a pour ambition de nous révéler un monde qui synthétise exactement le tournant technologique et civilisationnel qu’on a connu ces dix dernières années, et qui nous a amené à une société fracturée et désespéré, obsédée même parfois par sa propre extinction. Le tout enrobé dans une œuvre à la croisée des genres, entre ésotérisme, horreur et science-fiction.
Death Stranding fait voyager son joueur de la côte est à la côte ouest des amériques mais aussi intellectuellement à travers les différentes étapes de l’histoire des hommes, en lui faisant revivre la conquête du far west dans un futur post-apocalyptique.Kojima a vendu son idée sur le principe du bâton et de la corde. Le bâton c’est l’arme qui permet à l’ homme de repousser ce qui est mauvais pour lui, tandis que la corde est l’outil qui lui permet de le lier avec ce qui lui est bénéfique.
Quand l’industrie entière ne parle que de capter l’attention du consommateur par tous les moyens (surtout les plus bassement serviles), Kojima met à l’honneur des mécaniques de jeu qui poussent à l’entraide entre joueurs pour construire un projet commun, celui de rebâtir un civilisation en ruine.
MISSION
cataclysme appelé death stranding, le monde des morts mélangé à celui des vivant, ou dans un langage plus scientifique, des masses d’anti matière apparues sur terre, le Chiralium qui au contact de la matière crée des explosions, les void out détruisant littéralement la civilisation telle qu’on la connaît aujourd’hui.
C’est dans ce monde crépusculaire et fracturé que les derniers survivants se terrent dans des sous sols loin du regard et du contact des autres et tentent de vivre leur derniers instant dans l’isolation la plus complète.
Sam n’est ni un super soldat ni un héros mythologique, c’est un porteur, un livreur qui traverse le territoire américain devenu une terre naturelle vierge arrosée par le TimeFall, des précipitations de Chiralium qui font accélérer le temps à toute la matière qu’elle touche.
Sam est mandé par le président des Etat Unis sur son lit de mort, de compléter le réseau chiral dans tout l’Amérique pour reconnecter les survivants avec ces dernières technologies et espérer ainsi survivre à cette ultime épreuve.
Il doit pour cela atteindre les différents nœuds que forme chacune des colonies dispersées sur le continent et convaincre les autochtones de rejoindre Bridges, l’entreprise qui gère ce réseau.
GAMEPLAY
Certains parlent de Death Stranding comme un jeu qui n’a pas de gameplay, comme un simulateur de marche basique. Effectivement, pour celui qui cherche un défouloir ce n’est vraiment pas la bonne adresse.
La première chose qui frappe dans Death Stranding, c’est à quel point le jeu nous force à avoir un rapport presque sensoriel avec le monde dans lequel on évolue. Le fait même de marcher n’est pas anodin car il faut sans cesse ajuster l’équilibre de son personnage avec les gâchettes de la manette sous peine de chuter brutalement à chacun de ses pas. Le BB que l’on transporte ainsi que les livraisons sont extrêmement sensibles aux secousses, il faut donc constamment réfléchir aux routes que l’on traverse pour éviter les pleurs ou la casse.
Les terres tout d’abord vierges de Death Stranding sont progressivement terraformées avec l’apparition de routes de circulation, de refuges dans les montagnes ou d’infrastructures facilitant la traversée des étendues hostiles. Ces constructions sont rendues possibles grâce à la participation de la base de joueurs qui les mettent à disposition à partir du moment où une zone est rattachée au réseau chiral.
C’est cette boucle de jeu qui donne la force à l’expérience vidéoludique : tout d’abord on traverse des terres naturelles pleines de danger de par le relief, les BT ou la présence d’ennemis divers. C’est l’état sauvage de notre monde. Puis à partir du moment où on est raccordé au réseau, la technologie mise à disposition, que ce soit des exosquelettes, des véhicules, des routes ou des chemins aménagés impriment dans le joueur ce sentiment de satisfaction de se sentir connecté et de pouvoir aller bien plus loin que s’il avait été tout seul.
C’est un des rares jeux où on est incité par le système à chercher à faire des actions qui aideront d’autres joueurs pour être récompensé par la suite de like et autres bonus qui nous seront utiles dans notre propre quête. Toute autre forme d’interactions négatives est éliminée du jeu vu que l’on ne rencontre pas vraiment les autres.
Le like ici n’a pas simplement une fonction de réaction superficielle, il a aussi la signification d’une action utile car l’on construit et l’on crée des choses pour filer un coup de main.
BB
Nan mais du coup c’est quoi ce délire avec les bébés dans les pots là ?
Les BB ou bridge baby sont les moyens qu’on a trouvé pour faire le pont entre la vie et la mort et ainsi détecter les BT. Ce sont plus exactement des bébés nés de mères porteuses en état de mort cérébrale, donc ni vraiment morts ni vraiment vivants qu’on maintient dans cet état dans des pods là, et qui peuvent émettre des impulsions sonars capables de rebondir sur les BT.
Et du coup on peut détecter leur présence ?!
Voilà, et puis c’est un excellent concept, un peu glauque certes, pour obliger le héros à nourrir un lien étroit avec Lou, son BB vu qu’il doit brancher une sorte de cordon ombilicale pour alimenter le pod.
C’est un peu sa maman quoi… une main vers le futur ! malin…
CHARACTERS
Amélie, Die HardMan, Mama, DeadMan, HeartMan, ah oui et Fragile…elle sert à quoi déjà celle là ?
Le casting basé sur des acteurs réels est à la fois bien mis en avant mais aussi marqué par son absence physique du jeu. En effet, la majorité des colons sont reclus dans leur refuge et n’apparaissent jamais en personne.
Il existe un grand nombre de colons qu’on rencontre tout le long du chemin, enfin, dont on ne voit que des hologrammes à l’entrée de chaque abris que l’on croise.
Les interactions sont plutôt restreintes, sauf si l’on se penche un peu sur la correspondance par mail qu’ils ont avec Sam tout le long du jeu.
Le monde décrit ici est un monde de solitude où il n’existe plus de contact sociaux, les corps des uns et des autres sont dissimulés derrière de lourdes portes blindés et seuls des avatars sans consistance viennent nous accueillir. La méfiance entre les colons et Bridges règne depuis l’échec de l’expédition d’Amélie qui n’a pas réussi à relier tous les terminaux du réseau.
Chacun vit en autarcie, en attendant la fin du monde. Bienvenue dans le monde d’après !
Les personnages secondaires sont, comme d’habitude, très bien développés.
Mama tout d’abord, présente un lien particulier avec la grève vu qu’elle a enfanté son bébé alors qu’elle était entre la vie et la mort au moment du death stranding et elle symbolise le sacrifice maternel en entretenant son bébé même après la mort. Elle a une sœur jumelle avec qui elle peut communiquer quelque soit la distance qui les sépare, mais décide de couper ce lien spécial pour la protéger de la terrible nouvelle de la mort du bébé.
Heartman c’est un peu le scientifique lunatique fou mais très au fait des mécaniques derrière le death stranding. Le gimmick qui a été trouvé pour lui a été de le faire mourir toutes les 21 minutes par arrêt cardiaque pour lui permettre de voyager sur la grève et retrouver la famille qu’il a perdu lors du grand cataclysme, avant de revenir à la vie grâce à son défibrillateur permanent.
Fascinant concept, humain et froid à la fois…
Deadman sous les traits de Guillermo Del Toro est un peu l’ourson du groupe. Il procure un support logistique à Sam et il est celui qui révèle la duplicité de Die Hardman, le chef de Bridges dans cette vaste opération.
Son nom vient du fait qu’il serait un homme artificiel agrégat de cadavres, une sorte de Frankenstein d’où l’énorme cicatrice qu’il porte sur le front. C’est un peu le personnage qui aide Sam à sortir de sa coquille.
Cliff est l’antagoniste qui apparaît lors des tempêtes de chiralium. Le joueur se voit transporté sur des champs de bataille atemporels et démentiels où les fantômes des morts giclent sur l’écran avant de se décomposer dans d’étranges traînées de goudron. Cette incursion dans la grève qui s’est formée suite à des décès massifs lors de guerres du passé sont toujours des parenthèses un peu bizarres dans le jeu qui ne servent au final qu’à introduire la conclusion de l’histoire et le lien entre Cliff et Sam. Visuellement, c’est absolument novateur avec les appareils de guerre possédés par ces ‘strands’ ces tentacules de chiralium qui leur rendent la vie ainsi qu’à tous les zombies de guerre.
SYMBOLIQUE
Il faut bien avouer que Kojima a réussi à imposer un langage visuel sublime et complètement nouveau !
En exprimant par les voix de la création avec des symboles jamais vus les problèmes de notre époque, une telle œuvre nous permet non seulement de voir les contradictions de notre société, mais aussi de vivre manette en main le désespoir de l’isolation et la joie de l’entraide !
Premièrement, clarifions un peu la relation de chiralité qui exprime le lien que peuvent avoir les deux mains d’un individu, elles sont l’image inversée l’une de l’autre.
La matière chirale est donc littéralement l’antimatière ou la matière noire cachée de notre univers. Elle a l’apparence d’une matière visqueuse proche du goudron et est décrite comme n’étant pas affectée par le temps qui passe et les objets qui y sont immergés sont téléportés sur la grève pouvant ressortir à n’importe quel moment comme les buildings qui y flotte lors de la rencontre avec quelque BT.
Les théories comme quoi la matière noire de l’univers indétectable à l’œil nu qui prendrait près de 70% de la place dans notre univers prend ici forme avec l’étrange phénomène qu’on appelle le death stranding.
Le Timefall qui fait augmenter localement la densité de matière chirale dans l’atmosphère fait accélérer le temps de tout objet qu’il touche, et évoque par là même, un basculement dans la mort, dans la grève.
La grève justement, cette longue étendue de plage symbolise le passage vers la mort, de la terre vers la mer.
En poussant la cohérence jusqu’au bout, les visions infernales de cétacés échoués sur la grève rappellent directement les catastrophes environnementales comme les marées noires qui menacent la survie directe des espèces animales.
Ils rappellent l’extinction imminentes de la race humaine sur Terre évoqué dans le jeu comme étant la sixième extinction de masse, le Last Stranding qui surviendrait du fait de l’apparition de l’agent d’extinction qui possède un cordon ombilicale reliant le monde des vivants et la grève menaçant ainsi de déverser la mort sur notre planète.
La fantaisie rejoint ici les sujets d’actualité.
Higgs dans son accoutrement de fossoyeur de l’Egypte antique exprime aussi une idée phare de l’œuvre. Comment se comporter face à la destruction imminente de notre civilisation. Faut il baisser les bras et précipiter le Last Stranding, faut il au contraire comme Sam continuer de marcher, de délivrer le message pour construire l’avenir. La question se réglera justement à ce même endroit de la grève. Dans une scène que l’on retiendra pour son esthétique surréaliste !
CONNEXIONS
Aah, le pouvoir de l’ amitié. Pour moi, le thème de la connexion avec les gens est devenu central dans les grandes œuvres de jeux vidéo et animes depuis 5 ans. Avec l’ apparition de l’ hyper connectivité et de l’isolement progressif des gens, la question de comment créer les conditions d’une relation authentique et constructive est revenue sur le devant de la scène. L’anime Kiznaiver est pour moi le premier à avoir mis cette question au centre de sa narration avec la fameuse phrase au premier épisode …
“Tout le monde veut poser sa griffe sur un autre, tout le monde veut se connecter avec quelqu’un…”
Puis c’est persona 5 qui continue à filer la métaphore avec le lien entre les cartes de tarots, les confidents, et la capacité à se rebeller contre les injustices de la société, Nier automata aussi, dans son brillantissime final qui permet aux joueurs du monde entier dans un ultime sursaut d’unir leurs forces pour sauver 2b et 9s. Une arche d’ alliance matérialisée par un mur d’ encouragements à chaque game over quasi inéluctables, puis le sacrifice de sa propre partie pour aider un inconnu dans le monde à finir le jeu.
Puis enfin c’est death stranding qui permet de se connecter avec l’ensemble des joueurs pour permettre de reconstruire cette Amérique au bord de la néantisation.
UN MESSAGE
Isolé, enfermé et replié dans une vérité rien qu’à soi, incapable d’échanger et de composer avec le monde extérieur. Voilà l’isolement volontaire que décrit Death Stranding face aux désordres de ce monde hyper connecté.
La méfiance aussi légitime soit elle, ne nous amène qu’à la division. L’absence de projet collectif aboutit à la destruction de ce que l’humanité a mis des millénaires à bâtir.
Nombre de joueurs se sont disputés sur le facteur divertissant de ce jeu.
Que ce jeu soit une expérience plus réflexive sur la nature des liens entre personnes qu’un défouloir décérébrant de réconfort, ça me parait être une observation juste !
Il faut se mettre d’accord sur quelle corde on essaye de tirer chez le joueur et l’on peut presque à ce niveau parler de plaisir qui nous libère en opposition d’un plaisir servile et monétisable qui nous enchaîne.
Que révèle la prolifération de divertissements tellement opposés à ce Death Stranding ?
Que la violence fascine tout particulièrement les être moralement plus faibles, et l’extinction de l’humanité ne viendra pas par un cataclysme écologique comme le phénomène du Death Stranding mais plutôt par un affaissement moral de la population mondiale.
Donc de quelle veine le plaisir de jeu tire-t-il sa source ? On peut sincèrement se poser la question.
On peut aussi voir le divertissement comme une alliance subtile entre la récréation et l’accès à une forme de savoir plus ludique.
Je pense que Death Stranding c’est ça aussi; un jeu et une révélation des problèmes qui nous entourent.
Un système dérégulé qui nous connecte tous à des aspects morbides de la vie risque très fortement de provoquer l’extinction de notre société.
Par contre un système qui favorise des liens constructifs qui nous connectent à la communauté au sens large, peut nous unir autour d’un projet collectif qui vaille la peine.
Ce lien, des générations entières avant nous l’ont fait croître avec patience sous des formes de aussi diverses que le savoir, comme la recherche scientifique, la culture, les arts comme le cinéma, la littérature, et les jeux bien sûr…
Death Stranding fait partie de cet immense héritage, qu’on accepte au plus près de son cœur, et qu’on respecte et qu’on tente par tous les moyens d’en prolonger le message, de surpasser le chef d’œuvre.